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Article d’opinion : wearables

« Les technologies portables peuvent certainement améliorer le bien-être, mais les employeurs qui suivent aveuglément la tendance risquent l’effet inverse. »

Lode Godderis préconise de traiter les health wearables comme toute autre technologie : en les utilisant intelligemment en fonction de leur objectif dans chaque contexte spécifique, dans le cadre d’une politique de prévention solide et clairement communiquée.

Tant dans la pratique quotidienne que dans les médias, je constate un intérêt croissant pour les technologies portables, y compris de la part des employeurs comme outil pour accroître le bien-être des travailleurs (le début de toute tendance). Ce qui m’échappe souvent, c’est le contexte médical et psychologique global dans lequel ces outils numériques sont déployés. Récemment, j’ai lu un article sur une entreprise qui surveille désormais le niveau de stress de ses collaborateurs à l’aide de Fitbit : si l’appareil détecte que vous passez dans la zone orange ou rouge trop souvent, vous recevez une alerte.

Tout d’abord, le principe de mesure en lui-même n’a rien d’anormal. Personnellement, je crois beaucoup en la valeur ajoutée des wearables et des données dans le cadre d’une politique de bien-être. Mais cela reste une innovation technologique, qui n’est généralement utile que si elle est utilisée intelligemment. Tout comme les technologies de la communication soulèvent depuis un certain temps des défis concernant l’ergonomie, l’excès de temps d’écran et l’importance du contact humain, l’essor des wearables nous pousse de nouveau à la réflexion. Et encore une fois, cela ne concerne pas seulement le lieu de travail, mais notre société dans son ensemble. Dans la sphère privée, les health wearables et les applications pour smartphone sont en effet déjà monnaie courante, le plus souvent sans aucun contrôle médical.

“« Ce qui compte, c’est surtout comment vous interprétez l’alerte de stress sur votre wearable. Le contexte dans lequel l’alerte se produit est tout aussi important. »

man met wearable

Le défi le plus important concerne l’efficacité : ces wearables fournissent un flux de données, mais il est difficile d’en tirer des conclusions claires. Dans le cas de l’exemple de stress cité, par exemple, la question est de savoir comment interpréter cette alerte de stress. Le contexte dans lequel l’alerte se produit est en effet tout aussi important que les données elles-mêmes. La cause est-elle liée à la pression au travail, ou plutôt à la sphère privée ? Dans quel état médical ou psychosocial se trouve le travailleur ? Y a-t-il des antécédents de sensibilité au stress ou de burn-out ? Et les données correspondent-elles à ce que ressent le travailleur ? Tous ces paramètres ne sont pas obtenus à partir du wearable, mais auprès de différents spécialistes : le médecin traitant, le médecin du travail, le conseiller en prévention aspects psychosociaux, le supérieur hiérarchique et bien sûr le travailleur lui-même. J’ai toujours plaidé en faveur d’une collaboration plus coordonnée entre tous ces acteurs, et les données provenant d’un wearable peuvent indéniablement renforcer cette collaboration.

En outre, il n’est pas facile de déterminer les conséquences à associer à ces conclusions. Comment réagir en tant qu’employeur si un travailleur vous explique qu’il est stressé, selon son wearable ? Allez-vous simplement réduire sa pression au travail sur la base de ces données ? Et est-ce même possible à ce moment-là ? Il existe un réel danger que les employeurs créent de fausses attentes envers les travailleurs en introduisant les technologies portables. Une politique solide et clairement communiquée en la matière est donc cruciale.

« Les trackers de sommeil peuvent, sans les conseils appropriés, empêcher les gens de dormir à cause de leurs données de sommeil »

Vrouw kijkt op wearable en smartphone

Le danger du « santéisme » guette lui aussi à la porte. En voulant tout mesurer et en disposant de ces données sur votre montre 24 heures sur 24, vous pouvez provoquer l’effet inverse : une obsession malsaine du bien-être, par exemple sous la forme d’une pression que vous vous imposez pour respecter certains paramètres. Et ce « stress sur votre stress » peut devenir un cercle vicieux. Nous constatons le même problème avec les trackers de qualité du sommeil. Dans la bonne situation et avec les bons conseils, ils fournissent des informations très précieuses. Mais si ce contexte fait défaut, il arrive que les données de sommeil empêchent justement les gens de dormir.

Outre l’aspect purement sanitaire, il y a beaucoup d’autres éléments à considérer. Tous les travailleurs ne sont pas favorables au port de ces wearables par défaut, et certains soulèveront même de sérieuses questions quant au respect de la vie privée.

Comme pour tout défi médical ou psychosocial, vous devez partir de votre objectif final : le bien-être de chaque travailleur. Ensuite, à un niveau personnel, vous examinez les informations dont vous avez besoin pour atteindre cet objectif. Parfois les wearables fournissent ces données, parfois non. Et si c’est le cas, elles sont pertinentes seulement si elles sont utilisées intelligemment, et de préférence intégrées à votre politique RH et de prévention. En tout cas, elles ne peuvent jamais être un objectif en soi. Les employeurs qui suivent aveuglément la tendance en déployant les technologies portables comme une sorte d’avantage risquent l’effet inverse.

  Cet article d’opinion a été publié dans L’Echo le 1er juin 2022.

Lode Godderis, CEO d’IDEWE (service de prévention externe) et professeur en médecine du travail à la KU Leuven.